Claire Ceira

focale (18)

par claire le 4 février, 2020

Tu es sorti malgré le froid, malgré cette humidité sur les trottoirs qui reflète la lumière d’un ciel bas. Sur le boulevard, il y a un double ligne d’arbres, élagués jusqu’à ressembler à des morts verticaux, bras figés vers le ciel. Entre eux, si éloignés de leur nature, si enserrés de grilles, si réduits à la similitude, on voit la lumière blanche qui fait comme un chemin étroit. Et devant toi, à contre-jour, un homme massif qui porte une cape, un chapeau melon et un parapluie. Il vient de tourner vers toi son visage léonin.
En fait, tu le suivais depuis pas mal de temps, accordant dans la rue déserte ton pas au sien, comme si tu hésitais à le dépasser, à prendre le risque de te trouver un moment à sa hauteur. Et puis il marchait à la même vitesse que toi, à peu près.
Il y avait quelque chose de comique dans cette silhouette : le rond du chapeau, la cape semblable à une grande tulipe noire renversée, le reflet vague de l’ensemble sur le bitume mouillé. Tu avais des chaussures bruyantes, et ton pas il ne pouvait pas l’ignorer, qui le suivait. Mais quoi de plus banal ? : on marche dans la rue un dimanche d’hiver, il fait un temps décourageant, quelqu’un marche derrière vous.
Pourtant, il ne devait pas trouver cela si anodin. Après cinq minutes peut-être de cette progression équidistante, il s’est arrêté, il a pivoté sur ses talons et il t’a attendu. Il n’y avait rien à craindre: un vieil homme à moustache, qui ressemblait un peu à Clémenceau, attendait que tu arrives devant lui, passant ordinaire. Toi tu regardais à droite – sans aucun naturel – les boutiques fermées, pour ne pas affronter son regard braqué. Pas moyen de bifurquer dans une rue perpendiculaire. En arrivant devant lui tu as bien été forcé de le regarder. Alors il t’a poussé, de son poing ganté qui tenait le parapluie. Une poussée dans la poitrine, comme on écarte un obstacle, comme une agression d’enfants qui n’ont pas encore de langage. Tu as fait un pas déséquilibré, un écart, puis tu as continué à marcher, à peine plus vite, en le dépassant.
Tout cela était si primitif, si éloigné des codes. Cela allait avec son regard enfoncé et brûlant. Tu t’es hâté pour retrouver un lieu habité, des amis à qui raconter cette histoire sans parole ni compréhension.

4 comments

C’est difficile de commenter un texte dont l’ambiance nous laisse sans voix …
On ne sait pas lequel des deux nous angoisse le plus entre le silence et la peur de l’autre …
Très beau texte.

by Annick SB on 20 février 2020 at 7 h 47 min. #

Merci beaucoup Annick. J’ai essayé de rendre l’atmosphère étrange de cette photo : le plus mort de l’hiver, et cet homme qui a quelque chose d’incompréhensible.

by claire on 23 février 2020 at 8 h 43 min. #

Je me lasse un peu de ta prose que je trouve très répétitive. L’intérêt serait d’écrire un court roman dans ce style un peu comme les livres de Tabbuchi.

by Florian on 11 mars 2020 at 13 h 52 min. #

Oui, je vois bien ce que tu veux dire. Il me semble que chaque texte a son intérêt mais il faudrait n’en lire qu’un.
Un roman…si j’étais capable de le faire je l’aurais déjà fait.

by claire on 13 mars 2020 at 21 h 53 min. #

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