Claire Ceira

vacance

par claire le 8 juillet, 2013

Mountain passes slipping into stones
Hearts and bones

Paul Simon (« Hearts and bones »)

Une longue route enneigée, en montagne, à la tombée du jour. Dans la voiture, les parents et les deux enfants (le dernier est très petit, moins de trois mois) ; la fille – elle aussi très jeune – parle à peine.
Elle a beaucoup de mal à s’y faire, à l’arrivée de ce frère, de ce bébé dans son lit-auto ;
elle a besoin pour le supporter d’une musique, comme une chambre d’écho.
Alors tout au long du voyage ils écoutent de très nombreuses fois ce même CD : des chansons en langue étrangère, le long de cette route où la nuit devient de plus en plus noire et épaisse, où luit à peine la phosphorescence de la neige. Le froid dur comme une menace dans l’obscurité, comme l’armée d’une guerre invisible, et les hautes parois dressées des montagnes, les sapins plus noirs encore, leurs obliques tracées de blanc.
Tout au long des incessants virages, serpent gris dont la tête cherche l’abri encore inconnu, ils habitent cette bulle de lumière, que remplissent la voix, les mélodies, et la poignante nostalgie du chant. La petite fille demande à écouter encore et encore. Et sa mère, elle aussi saisie dans cette tristesse fluente, profonde, des premiers mois si étrangers de la vie, accepte et se tait.

C’est ainsi toute la soirée, jusqu’à ce qu’elle s’endorme, et qu’ils arrivent enfin en milieu de nuit, après une erreur de trajet, dans un petit deux pièces glacé et sans âme qu’il faudra, très vite, rendre chaud et vivant.

3 comments

I) Un cadre spatio-temporel inquiétant

Le lieu (« Une longue route enneigée, en montagne ») et le moment (« à la tombée du jour », « en milieu de nuit ») se prêtent à la mise en place d’une tonalité fantastique (« la nuit devient de plus en plus noire et épaisse, où luit à peine la phosphorescence de la neige. Le froid dur comme une menace dans l’obscurité, comme l’armée d’une guerre invisible, et les hautes parois dressées des montagnes, les sapins plus noirs encore, leurs obliques tracées de blanc »). Le monde extérieur est ressenti comme une menace latente. Le point de chute final (« un petit deux pièces glacé et sans âme ») ne dissipe pas ce sentiment d’oppression qui gagne le lecteur.

II) Le paradis perdu

L’habitacle de la voiture prend l’aspect d’un cocon, d’une enveloppe protectrice qui n’est pas sans rappeler les ineffables délices du monde prénatal (comparaison : « elle a besoin pour le supporter d’une musique, comme une chambre d’écho », métaphore : « ils habitent cette bulle de lumière », accumulation à rythme ternaire et croissant : « la voix, les mélodies, et la poignante nostalgie du chant »). Monde enchanté dont mère et fille sont orphelines (« elle aussi saisie dans cette tristesse fluente, profonde, des premiers mois de la vie ») et qu’il va s’agir de recréer (« un petit deux pièces […] qu’il faudra, très vite, rendre chaud et vivant »).

Merci pour ce partage !

by jfmoods on 29 octobre 2022 at 9 h 10 min. #

Le chant, c’était « Flesh and bones » de Paul Simon. Que cette chanson ait pris une telle place pour un enfant de moins de 3 ans en dit long sur l’art, sa fonction psychique « maternelle » de protection et d’accompagnement. Il y a eu aussi une série de photographies de territoires enneigés qui m’avaient frappée par leur puissance hostile. Et sinon, ce moment un peu difficile, vraiment vécu même si je l’ai modifié par pudeur.
J’aurais pu l’appeler « baby blues ».
Le commentaire aussi a une fonction « maternelle » d’accueil, d’attention, d’élucidation, et il porte le poème « en avant ».

by Claire on 29 octobre 2022 at 20 h 16 min. #

Le jeu de mots du titre (singulier/pluriel) révèle la profond détresse de la femme présentée ici. Elle devrait se sentir libre, épanouie, heureuse d’avoir donné la vie à un enfant tant désiré. Elle devrait profiter de son bonheur d’être mère. Mais, justement, en le mettant au monde, elle a cessé d’être ce rempart pour l’enfant. Elle a livré son nouveau-né aux innombrables dangers qui le guettent. Elle ressent une vacuité, une impuissance à protéger, à assumer le poids de cette maternité. On comprend mieux, dès lors, la présence muette de l’homme, simple figurant dans cette histoire. S’il peut comprendre la situation, il n’est en aucune manière en mesure d’éprouver cette douleur dans sa chair.

by jfmoods on 31 octobre 2022 at 13 h 03 min. #

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