cheval de fer
par claire le 28 juin, 2010
c’est beau
la force électrogène qui mène sans faiblir le train et nos bagages
tandis que nous cherchons des yeux
gares et bas-côtés
les yeux flottant dans la grisaille
de l’arrière des villes.
rien qui nous fasse descendre en marche ou tomber
par une porte qui s’ouvrirait dans le flanc
– une seconde –
pour soi.
se laisser glisser et naître
dans l’endroit qu’on vient de voir.
debout un peu sonné et seul
meurtri par cet événement
faire adieu de la main au point rouge.
être oublié être une personne
au bord de la clairière où un cheval au cou arqué
broute sans rien voir.
commencer la marche sur les cailloux bruns
l’odeur de fer.
dans la campagne intime
voir le dévoilement de l’été :
colza fluo, maniaquerie des poteaux.
T.G.V II
par claire le 22 juin, 2010
Monde des voies ferrées, sortie des villes par l’envers des immeubles
des rues, des magasins discount.
on voit les crépis
réduits grillagés, hauts murs borgnes, lucarnes
tags éblouissant tout.
Un bouquet de lignes d’acier
qui s’écartent comme les lèvres du ciel blanc
l’architecture métallique et vieillotte au-dessus
et le long de votre flanc – coulant à la même hauteur
les glissantes voies rapides pleines d’autos alignées mouvantes
si nombreuses et à peine entrevues, comme menées par rien.
Ces terrains réellement sauvages de terre retournée, déversée en longues buttes rectilignes ou anarchiques ;
parcelles de végétation confiée au hasard où nul jamais ne se risque.
Sur un monticule d’ordures, dressée contre le ciel pâle, une silhouette humaine occupée à quelque ramassage, ou à un tri…
mais peu à peu on sort, c’est la campagne.
———————–
Quand je roule en arrière, la nuit
chaque lumière semble aller à regret vers l’avant du temps
et la nuit referme ses deux mains dans un geste doux et sans fin
pour tenter de la saisir.
la nuit charbonneuse aux arêtes luisantes
d’obsidienne, où chaque goutte
coule à l’horizontale
dans les cheveux noirs des heures qui passent.
——-
Il y a la lumière du jour luisant sur les eaux, remontant
aspirée par l’éclat des franges, des trous éclatants des nuées.
Il y a cet oiseau gris au flanc de la forêt, dont le vol escalade la muraille verte.
Et derrière les murs
au-dessus des talus, l’herbe mêlée de bourrache, plumeuse et mauve.
——–
Structures boulonnées suspendues
peintes en brun ou gris, filins – tunnels lépreux
arcs en plein cintre incrustés de suie.
la chanson qu’on aime se mêle aux annonces du bar en voiture 4
aux acacias verts dans les petites gares qu’on effleure – et toi où es-tu
sur la surface de la Terre ?
——–
là-bas, un garçon infirme n’est plus
sa coque vide porte encore
les traces de sa sueur et la forme de son corps
elle devra être jetée quelque part.
comme ces espaces que je parcours
se jettent à l’envers dans le passé
l’amour survole – rasant – les bosquets noyés
de clématite sauvage.
dans la forêt lointaine
par claire le 3 juin, 2010
Tu descendais la rue petit, regardant
– les yeux des enfants ont une façon liquide d’entrer dans les trous
(noir, oiseaux, feuilles) –
et ce chemin te conduisait au milieu des choses,
encore appuyé contre l’humide brun des corps d’adultes.
Le matin (même quand il faisait encore nuit)
aimanté déjà par ce qui viendrait plus tard
tu descendais la pente courbe de la rue, sur le trottoir inégal,
sous les tilleuls ronds et soumis.
Il y a un bourgeon grand comme l’enfant entier
une enveloppe serrée d’écailles qui tient le corps si solidement, si violemment
prêt à l’éclatement,
mais qui est à l’intérieur.
Miel d’une poisseuse réalité en attente,
comme leurs corps bientôt se déferont, se reformeront.
Avènement des odeurs
signant dans chaque creux le printemps de l’âge adulte
et d’une nouvelle façon de regarder
de discriminer : tel humain, non pas tel autre.
Tout cela en germe dans ton petit visage, tes yeux d’eau, et cet acte si simple et répété : descendre la rue chaque matin, m’attendre devant la grille, les groseilliers à fleur
comme nous agissons, menés et libres
à chaque instant de notre vie.
CAEDERE
par claire le 2 juin, 2010
Tu peins
comme si l’air peignait
tenait le long pinceau
posait la couleur épaisse
et prenait la pose de ce corps nu écroulé
sur le lit devant toi.
comme si tu peignais l’air qui m’entoure
immobile
sans m’avoir jamais vue.
Comme si l’air qui entoure ton bras
contenait autre chose
que cette essence de la fatigue
qui fait la vie
qui fait descendre la chair
quand on est allongé quand on dort
ou qu’on se tient debout et droit
tout nu.
La chair descend vers la terre
vers les feuilles sèches
jonchant ton jardin négligé
l’architecture d’herbe vivante et d’arbustes
et la lumière à travers tout
pour atteindre l’enfant :
bouche accrochée au sein d’un homme
vieillard aux yeux de vague.
La chair forme les murs de ta maison
ton ossature parle d’une voix forte
et s’oppose, s’arrache.
tu peins la gravité où tout descend
tout est à demi-détruit
ou à demi-jaillissant,
érigé.
Comme les longues feuilles vernissées et vertes
au-dessus de l’enfant
qui dort à demi-nue
dans la lumière.
Tu exténues ceux que tu peins, pour que la vie descende
rouge et lourde dans leurs pieds, leurs mains
leur sexe découvert,
pour qu’ils oublient qu’ils sont nus
oublient leur honte d’être ainsi faits de chair cachée
et mortelle, sexuelle
aussi mortelle que le bout desséché des feuilles
au-dessus de l’enfant dormant
aussi mortels que ces choses émouvantes
à demi-détruites
de la décharge derrière ton jardin.
Aussi radieuses que ces cheminées parfaites
orange et dressées
contre le ciel gris.
Lucian Freud
T.G.V. I
par claire le 27 mai, 2010
le velours de fin de nuit
la main qui ferme la porte
et cette entrée dans l’air frais
dans le blanc du matin
une pellicule d’eau sur le trottoir.
prendre le train et traverser
de haut en bas toute la France, ses combes vertes ses petits jardin familiaux
au-dessus desquels descend en diagonale frileuse
puis se perd
le vol du papillon blanc solitaire.
voir les châteaux voir tous les gens
qui partagent sans parler votre espace.
et la fin quand tout se rassemble
dans la laideur expressive
des abords de la ville,
de la fin du voyage.
point de nuit
par claire le 19 mai, 2010
écrire,
comme si le bateau s’était mis en marche le long du quai dans la nuit
et que j’étais occupée pendant ce départ.
quand j’ai pu me rendre sur le pont supérieur
la nuit avait déjà tout rempli
ceux du quai l’avaient déjà quitté, rejoint leurs maisons
alors j’ai commencé à leur parler
du bord de la séparation
s’élargissant.
je crois que j’ai toujours vu le motif
pendant que se déroulait l’histoire :
trame de ce qui arrive et chaîne de ce qui n’arrivera pas.
une tapisserie dédiée au rêve, à l’éternité friable et vivace
– et aucun doute.
je savais que c’était l’espace
du pays étranger du désir…que rien ne serait vrai.
mon corps parlait (pour lui-même) à sa façon devant moi
qui pourtant suis sa propriétaire, son habitante
et même qui SUIS LUI.
il révélait la beauté d’un corps absent
cette poignée :
un corps masculin.
ce que je ne peux être, ni saisir
et devant lequel s’arrête
ce qui me quitte en ce moment même.
(illustration : une encre de zhou gang)
T.G.V. images
par claire le 13 mai, 2010
barque
par claire le 12 mai, 2010
rêve, se coucher dans une barque la nuit.
au-dessus d’elle ce froid
d’étoiles faiblement luisantes
quelque chose de lent et persistant
le corps lui aussi ondulant, l’eau
le long de la barque doucement la fait rouler
tout respire le même rythme invisible
et l’eau respire aussi
petit halètement pensif
d’animal éternellement collé contre le plat-bord.
les points de contact :
ce récit muet
qui fait du toucher son langage
des mouvements ses messagers
toutes les humeurs dont la vie se baigne
parlant à l’eau du fleuve sombre
à travers la paroi de bois.
premier jour, rêve
par claire le 26 avril, 2010
qui se glissait par l’escalier
de ciment derrière la maison,
montait sans toucher la rampe,
frappait et aussitôt entrait.
c’était toujours lors d’une journée immobile et stérile
sa venue en faisait une bulle d’eau
teintée de ciel
(boisson qu’on n’a jamais pu boire dans la solitude)
elle recommençait à couler
jusqu’à son terme :
franges d’arbres plongeant dans le noir.
c’était pris dans des feuillets
c’était replié
et ses doigts tournaient dans le rêve
dans la lumière baissant,
bientôt on n’y verrait plus
ni page ni enchanteur.
autoroute
par claire le 19 avril, 2010