Claire Ceira

à l’arrêt

par claire le 28 juin, 2011

Comme figées dans les ronces deux roues, un essieu
sous la pluie et dans le passé des virages,
l’haleine des villes, l’enfant courbé
depuis sa dernière fugue
dont on perce le secret.

Tu as trouvé une couleur hésitante, un horizon
la nuance du dévers des vagues sur le sable
pur et l’écume en dessins mouvants…
arcs posés sur le miroir, flous et tremblants

fugaces – ton pas interrompt leur recul.
tu t’adosses
à la voix criarde des oiseaux derrière toi,
tu lèves les yeux et te libères
des rêveries.

il faut être seul

par claire le 10 mai, 2011

J’ai vu tes armes
longtemps après que tu les aies posées
elles étaient là, derrière un mur.
Les armes existent plus que ce qui les entoure :
le mur, le sol de poussière et de cailloux.

Ce lieu indifférent
qui n’a été vu par personne
sauf peut-être par celui qui a construit le mur,
a regardé en partant
l’ombre diagonale que le soir découpait

et les ombres étendues à ses pieds
en parallèles grises,
venues des troncs des arbres proches, des hampes
perdues dans la douceur des herbages au printemps.

La rouille seule menace tes armes, qui naît de l’humidité des orties,
du mur.

arbre

par claire le 10 avril, 2011

Acacia fait d’arbre, aux cuisses disjointes
plus debout que moi dans l’air du soir d’or
à mi hauteur de ton violent tronc dansent
les moucherons.
Moi qui suis assise en dessous
les yeux levés je te fais mes adieux
les yeux sur ton écorce
je ne te verrai plus.
tout en haut, pas encore masqué par les feuilles
ce nid de pies
abandonné en mars.

Je vois avec quel oubli tu livres
au dessèchement tes branches basses
avec quelle ardeur tu disjoins
dans les ciel les cuisses
de tes branches
maîtresses.

Dans la perfection du ciel du soir
où tu étends tes doigts si nombreux
sont aussi visibles
toutes mes choses à jeter
les murs que mon regard atteint
et leurs fenêtres

tout est à quitter, ici.

Encre

par claire le 1 avril, 2011

le ciel et l’eau n’ont plus de limite ils s’étendent
transparents et
sans couleur

dessinent une ligne fine et froide
l’interface entre l’eau et l’air
que coupe le chemin des pas qui s’enfoncent.

il y a l’écriture des algues
spirales posées n’importe où
il y a l’épaule noire et la tête
sortant à peine de l’eau.

à être ainsi seul
on se voit grandir
dans l’heure qui contient tout
on l’emplit entièrement
errant à la limite des eaux.

l’horizontalité s’élève
écran pâle d’un jour sans règle
l’arrêt du soir
est suspendu.

la ligne à haute tension passe au dessus

par claire le 1 avril, 2011

Le long des grands fils tendus, lentement gouttent
les eaux de pluie, personne ne les voit
tandis qu’elles tombent et sitôt s’infiltrent
dans chaque motte terreuse, en mouillant les arêtes
des silex. La pluie se répète et descend
et dure ainsi le jour entier, le soir
le début de la nuit, puis s’arrête.
Et les longues portées des fils semblent prises
dans l’obscurité, nul animal ne fait entendre
le moindre cri ou bruit. Limites, buissons blottis
dans la nuit sombre, portant l’explosion silencieuse
de leurs feuilles : mille petits poings vert acide.
Moi j’ai glissé en esprit le long
de ces fils ténus, abritée sous un parapluie
gris, je portais de grandes bottes. Mais loin
de cet endroit-là, sous une autre ligne
qui lui ressemblait, sur un coteau plus rond
de terre calcaire – la pluie tombait plus fort
et si droit, et j’avais presque froid.
En quel endroit sent-on ainsi le temps ?

(en vers arithmonymes de 8 mots)

tristesse, comme une assise

par claire le 28 mars, 2011

 
La pluie a cessé mais les routes
brillent comme des rivières,
avec leurs lignes pointillées et leurs signaux
entre la plaine brune et les écroulements des nuages
l’étrangeté des phares allumés des motos
luttant contre la lumière du jour.

je vais bientôt cesser ces allers et retours, cesser de traverser le pays
du nord au sud.

ce que j’avais saisi entre deux doigts
et que je relâche
a laissé une poussière bleutée, un toucher de talc
continuant son chemin,
vibrant ou souffrant dans le jour et la nuit.

…………………………………

Depuis que je cherche une maison j’en ai vu de nombreuses
et dans chacune imaginé une vie différente.
la beauté de la tristesse me saisit partout entre deux doigts,
alors je vais toujours vers un autre endroit
un lieu une assise.

…………………………………

J’ai trouvé hier encore une trace sur ma main,
ce qui s’est déposé et – sans préjudice
perdu.
il y avait cette sensation ténue, des ailes
dont la verticalité est saisie entre les doigts,
reprennent leur progression hasardeuse
hachée et miroitante
vers le fond du jardin, où j’étais invitée.

cette douceur supérieure à toutes celles qui sont connues :
une poussière bleu froid entre le pouce et l’index.

il y a ce qui a commandé quand même
ce geste de chasseur.

fruit

par claire le 13 mars, 2011

C’est le point de fusion
au centre de la forge – dans la montagne
où règne l’odeur du métal
si proche de celle du sang.

Une sphère pourpre dans la forge obscure
qu’elle emplit tout à fait
et ne se retire
jamais complètement – toute la nuit
veillant sur l’immobilité
l’arrêt du travail.

Au fond du noir en soi
au fond du volcan éteint
(grand cône pesant sur l’horizon)
il y a ce lieu intime
qu’on n’atteint qu’en dormant.

De cette matière brute
extraire une forme
un objet
clou
grille
ou rambarde.

C’est là que grondent le grand danger
et des états de la matière
absolument hors de tout :
le chaos
la fusion.

Comme le noyau rougeoyant en soi
cette chaleur qu’on ne peut
ni retenir
ni connaître, et qui
parfois nous assied de force
au bord du grand vide.

Matrice fluide des émotions
manque
déverse-toi
en cercle laqué, s’élargissant.

Et métal
comme une eau luisante
atteins le point le plus bas
pour t’assombrir.


(KOOLHYDRAAT 2 ; d i v)

lueur

par claire le 13 mars, 2011

difficile maintenant de l’évoquer.

c’était possible du fond d’un grenier froid
ou sur des routes très droites
fastidieuses,
mais je l’ai perdu de vue.

c’était un tableau :
un chevreuil mort qui ouvrait l’oeil
sur son lit de feuilles beiges –
des chênes au-dessus
et la lueur d’un vert si faible
descendant sur son front à l’aube.
quelque chose à côté du corps couché.

ou un jardin
où je l’ai vu lové, se glissant
dans la forme d’un pétale
pourpre sur une table en fer…

on ne sait pas dire d’où vient
cette lueur noyée dans le soir.

ni
qui était dans le buisson,
avait cessé d’errer,
qui était en repos ?

« vers »

par claire le 18 février, 2011

…alors que le soir tombe sur les longues lignes de peupliers,
sur le fleuve traversé de ponts et de bancs de cailloux ; coulant sous son interface, son miroir
tandis que nous traversons le pays
allant vers où nous allons, à la vitesse nécessaire, dans les vibrations, et nos regards toujours déjoués par l’effacement du paysage.
se crée un tube bleu sombre où le train bientôt s’engloutit, où nous nous endormons.
et le désir joue une musique dans ces basculements, cette hâte que nous ne ressentons pas, ce temps perdu.
les rêves sont comme des cailloux flous qu’on laisse filer en arrière
voyageant sur un autre bord du monde, vers d’autres lignes d’arbres, talus.

.

…que cherches-tu, danseuse, tes mains cachées sous les bras ?
Tu as passé l’après-midi à marcher dans les bois, manches de soie flottantes
d’un vêtement usé, que traverse le froid du début de printemps.
Tu erres, depuis la route tu t’enfonces dans le sentier, semblable aux arbres toujours mouvants.
De creux en embranchement, à chaque instant tu choisis. rien ne règle les mouvements de ton corps assoupli, obéissant, rien ne s’impose.
A la fin, fatiguée, tu parviens au bord d’un champ, et tu t’assieds sur le tronc d’un hêtre
les mains posées sur la fine écorce grise dont tu perçois les reliefs.
Ton regard se noie dans les branchages en haut de la colline, si ensoleillés
puis s’élance
…vers rien, tu rêves.

.

…ils sont au travail à ciel ouvert, ils frappent régulièrement, et l’air mat rend les coups vibrants, comme la cupule géante d’une main.
ainsi avancent-t-ils dans le décompte des jours, dans la saignée qu’ils tracent sur le flanc de la montagne.
ils travaillent dans cette fente blanche et pelée, ouverte entre les épaulement des forêts, qui descend lentement vers la rivière : la rivière ourlée de vase, mais profonde, entre les pins ; coulant elle charrie aussi leurs jours, et ce chagrin qu’ils secrètent, si isolés, comme les derniers représentants d’une peuplade. ils frappent et scient, le bleu de la coupole du ciel chante en réponse, d’un chant voilé et répété.
Les troncs glissent, atteignent le bord de l’eau, puis ils descendront en longs trains flottants, jusqu’à l’endroit où ils seront débités.

.

…un passage d’un film : l’histoire de deux soeurs dont l’une est «folle » et l’autre «normale». leur rencontre avec des hommes pas forcément recommandables, dont l’un s’approche, en fin de soirée, de la soeur «sage», après qu’ils aient partagé des merguez, pas mal de bière et quelques joints.
Il y a ce moment où il enlève sa veste et la pose sur ses épaules, parce qu’elle a froid.
Par la façon dont il le fait, par ce qu’ils se disent alors (« il faudrait que vous y alliez maintenant »/ »oui, on y va »), il la fait entrer quelque part, et plonge lui aussi sans plus d’hésitation dans le domaine des corps.
L’un et l’autre se glissent alors dans la protection de cette enveloppe – qu’il lui prête – hors de soi.

« entre »

par claire le 31 janvier, 2011

… il y a quelque chose dans les espaces virtuels, entre les troncs gris et serrés, arbres des bosquets qui coiffent les collines, dans leur similitude qui fait qu’on ne les regarde pas, qu’on ne les sépare pas, et pourtant chacun vivant pour sa propre part.
… ce qui ne sépare pas la couche de terre arable de la roche, car elles se diluent l’une dans l’autre. la profondeur de sol sans lumière qu’explorent les racines dans leur descente : fissures, fines expériences tâtonnantes où la vie installe des avant-postes, colonies de cellules éclaireuses. transparence de microns des parois fragiles, logique d’eau infaillible, pas de pensée.
… l’hiver ressemble à ce mouvement de reptation, parce qu’il n’y a pas d’émotion, que tout est comme de l’eau aveugle, descendue à son point le plus bas, et qui s’est arrêtée, qui attend sous la glace des flaques.
… quand on sera en petits morceaux, ce ciment qui ne les reliera plus et l’irruption de la grande séparation. l’union se défait et le monde du dehors reprend ses droits, d’autres vies glissent leurs doigts minimes, qui nous écartent.
alors glisser dans la fente.