j’écris parce que j’aime disparaître
par claire le 8 juillet, 2011
parfois quelqu’un vient prendre la place
il monte, soulevé du fond
poisson longtemps planqué
près de l’épave boueuse
il s’élève escorté de myriades.
il monte du noir
– de la nuit constante
par paliers vers la lumière cyclique,
le plafond brillant du haut.
c’est quelqu’un qui s’appelle « fond du monde ».
dès qu’il prend la place je sais disparaître
mes yeux savent perdre la vue
– il prend la main.
il m’est étranger
parlant dans son masque d’or
d’une voix caverneuse et molle
nostalgique
des branchies béantes, frangées, des poissons
des marnes, des mouvements froids ou tièdes
de toutes beautés dont l’inconscience est reine.
C’est une pièce….(1)
par claire le 8 juillet, 2011
…
on ne voit que le mur du fond, l’ouverture d’une porte décalée sur la droite. Le mur est couvert de nattes déroulées, irrégulières.
Dans un coin, un téléviseur est allumé sur une image qui semble fixe, à côté une large chaise, avec un coussin, qui garde la trace d’un corps assis. A l’autre extrémité du mur, une petite table basse.
Debout dans l’embrasure sombre de la porte, un homme embrasse quelqu’un dont on ne voit que la main, posée sur son tee-shirt blanc. Les visages sont trop enfoncées dans l’ombre pour pouvoir être distincts. Finalement, on ne voit bien que le tee-shirt, ce qu’il laisse deviner de la position paisible, du bras replié pour atteindre le cou, ou l’épaule.
On pense que c’est l’été, ce vide souple des jours d’été où la montre est restée le matin oubliée sur la table de nuit, où l’après-midi s’étire dans l’éternité. La maison n’a que le nécessaire, on peut y perdre son temps. Le désir est toujours lové derrière quelque rideau, quelque natte, dans un demi-sommeil animal. Le corps est tout entier tiède, et plutôt que du sang, c’est l’eau d’une mer intérieure qui pulse lentement dans ses vaisseaux.
On est soi-même tout entier un vaisseau, posé sur une mer intérieure, qui se balance à l’ancre. Et la maison est tout entière retournée en un voyage indéfini, comme si le monde était tatoué à l’intérieur de l’enveloppe du corps, avec cet inconnu si proche dont la main sur le corps se pose, s’appuie
enveloppe et intérieur baignés de la même nuit constante, dans l’éclat d’un soleil atténué.
(toute cette série est inspirée de photos de Christian Vogt : « Photographic Essays on Space ».)
à l’arrêt
par claire le 28 juin, 2011
Comme figées dans les ronces deux roues, un essieu
sous la pluie et dans le passé des virages,
l’haleine des villes, l’enfant courbé
depuis sa dernière fugue
dont on perce le secret.
Tu as trouvé une couleur hésitante, un horizon
la nuance du dévers des vagues sur le sable
pur et l’écume en dessins mouvants…
arcs posés sur le miroir, flous et tremblants
fugaces – ton pas interrompt leur recul.
tu t’adosses
à la voix criarde des oiseaux derrière toi,
tu lèves les yeux et te libères
des rêveries.
il faut être seul
par claire le 10 mai, 2011
J’ai vu tes armes
longtemps après que tu les aies posées
elles étaient là, derrière un mur.
Les armes existent plus que ce qui les entoure :
le mur, le sol de poussière et de cailloux.
Ce lieu indifférent
qui n’a été vu par personne
sauf peut-être par celui qui a construit le mur,
a regardé en partant
l’ombre diagonale que le soir découpait
et les ombres étendues à ses pieds
en parallèles grises,
venues des troncs des arbres proches, des hampes
perdues dans la douceur des herbages au printemps.
La rouille seule menace tes armes, qui naît de l’humidité des orties,
du mur.
arbre
par claire le 10 avril, 2011
Acacia fait d’arbre, aux cuisses disjointes
plus debout que moi dans l’air du soir d’or
à mi hauteur de ton violent tronc dansent
les moucherons.
Moi qui suis assise en dessous
les yeux levés je te fais mes adieux
les yeux sur ton écorce
je ne te verrai plus.
tout en haut, pas encore masqué par les feuilles
ce nid de pies
abandonné en mars.
Je vois avec quel oubli tu livres
au dessèchement tes branches basses
avec quelle ardeur tu disjoins
dans les ciel les cuisses
de tes branches
maîtresses.
Dans la perfection du ciel du soir
où tu étends tes doigts si nombreux
sont aussi visibles
toutes mes choses à jeter
les murs que mon regard atteint
et leurs fenêtres
tout est à quitter, ici.
Encre
par claire le 1 avril, 2011
le ciel et l’eau n’ont plus de limite ils s’étendent
transparents et
sans couleur
dessinent une ligne fine et froide
l’interface entre l’eau et l’air
que coupe le chemin des pas qui s’enfoncent.
il y a l’écriture des algues
spirales posées n’importe où
il y a l’épaule noire et la tête
sortant à peine de l’eau.
à être ainsi seul
on se voit grandir
dans l’heure qui contient tout
on l’emplit entièrement
errant à la limite des eaux.
l’horizontalité s’élève
écran pâle d’un jour sans règle
l’arrêt du soir
est suspendu.
la ligne à haute tension passe au dessus
par claire le 1 avril, 2011
Le long des grands fils tendus, lentement gouttent
les eaux de pluie, personne ne les voit
tandis qu’elles tombent et sitôt s’infiltrent
dans chaque motte terreuse, en mouillant les arêtes
des silex. La pluie se répète et descend
et dure ainsi le jour entier, le soir
le début de la nuit, puis s’arrête.
Et les longues portées des fils semblent prises
dans l’obscurité, nul animal ne fait entendre
le moindre cri ou bruit. Limites, buissons blottis
dans la nuit sombre, portant l’explosion silencieuse
de leurs feuilles : mille petits poings vert acide.
Moi j’ai glissé en esprit le long
de ces fils ténus, abritée sous un parapluie
gris, je portais de grandes bottes. Mais loin
de cet endroit-là, sous une autre ligne
qui lui ressemblait, sur un coteau plus rond
de terre calcaire – la pluie tombait plus fort
et si droit, et j’avais presque froid.
En quel endroit sent-on ainsi le temps ?
(en vers arithmonymes de 8 mots)
tristesse, comme une assise
par claire le 28 mars, 2011
La pluie a cessé mais les routes
brillent comme des rivières,
avec leurs lignes pointillées et leurs signaux
entre la plaine brune et les écroulements des nuages
l’étrangeté des phares allumés des motos
luttant contre la lumière du jour.
je vais bientôt cesser ces allers et retours, cesser de traverser le pays
du nord au sud.
ce que j’avais saisi entre deux doigts
et que je relâche
a laissé une poussière bleutée, un toucher de talc
continuant son chemin,
vibrant ou souffrant dans le jour et la nuit.
…………………………………
Depuis que je cherche une maison j’en ai vu de nombreuses
et dans chacune imaginé une vie différente.
la beauté de la tristesse me saisit partout entre deux doigts,
alors je vais toujours vers un autre endroit
un lieu une assise.
…………………………………
J’ai trouvé hier encore une trace sur ma main,
ce qui s’est déposé et – sans préjudice
perdu.
il y avait cette sensation ténue, des ailes
dont la verticalité est saisie entre les doigts,
reprennent leur progression hasardeuse
hachée et miroitante
vers le fond du jardin, où j’étais invitée.
cette douceur supérieure à toutes celles qui sont connues :
une poussière bleu froid entre le pouce et l’index.
il y a ce qui a commandé quand même
ce geste de chasseur.
fruit
par claire le 13 mars, 2011
C’est le point de fusion
au centre de la forge – dans la montagne
où règne l’odeur du métal
si proche de celle du sang.
Une sphère pourpre dans la forge obscure
qu’elle emplit tout à fait
et ne se retire
jamais complètement – toute la nuit
veillant sur l’immobilité
l’arrêt du travail.
Au fond du noir en soi
au fond du volcan éteint
(grand cône pesant sur l’horizon)
il y a ce lieu intime
qu’on n’atteint qu’en dormant.
De cette matière brute
extraire une forme
un objet
clou
grille
ou rambarde.
C’est là que grondent le grand danger
et des états de la matière
absolument hors de tout :
le chaos
la fusion.
Comme le noyau rougeoyant en soi
cette chaleur qu’on ne peut
ni retenir
ni connaître, et qui
parfois nous assied de force
au bord du grand vide.
Matrice fluide des émotions
manque
déverse-toi
en cercle laqué, s’élargissant.
Et métal
comme une eau luisante
atteins le point le plus bas
pour t’assombrir.
lueur
par claire le 13 mars, 2011
difficile maintenant de l’évoquer.
c’était possible du fond d’un grenier froid
ou sur des routes très droites
fastidieuses,
mais je l’ai perdu de vue.
c’était un tableau :
un chevreuil mort qui ouvrait l’oeil
sur son lit de feuilles beiges –
des chênes au-dessus
et la lueur d’un vert si faible
descendant sur son front à l’aube.
quelque chose à côté du corps couché.
ou un jardin
où je l’ai vu lové, se glissant
dans la forme d’un pétale
pourpre sur une table en fer…
on ne sait pas dire d’où vient
cette lueur noyée dans le soir.
ni
qui était dans le buisson,
avait cessé d’errer,
qui était en repos ?