Claire Ceira

chant de poisson

par claire le 2 octobre, 2012

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je suis le poisson pilote
collé qui ne nageait pas
porté de courants ondo-
yants, de corps plus forts que lui

désormais je ne tournerai
plus avec vous requins marbrés
gencives pâles rincées de mer

je vous vois de loin

toujours tournants qui cherchez le nord
de là où je vais je vous
écrirai des choses subtiles
que vous ne lirez pas – car vous
ne les trouverez
pas

fish eye

par claire le 2 octobre, 2012

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Vu de dos : une plaine
ligne centrale comme une arête
là où coule la rivière,
ruisseaux venus
des deux versants.

sous les pas fugaces la neige
sous la neige les ruisseaux en sommeil.

Vallée de ma rivière noire
où sont tes vertèbres ?
où brillent tes étés de poussière,
leurs lumières atténuées ?

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boues

par claire le 25 septembre, 2012

……

ce qui nous attendait s’est déposé : boues, cendre et mots perdus
au fin fond des actes.
des faits et gestes pressentis et non venus
des histoires cachées dans une pauvreté sauvage
plantée de buis sombres.

ce n’est pas dans une lumière d’été
ni dans la chaleur
d’une petite main qu’on tient en marchant

– toujours dans la paume de celles qu’on n’a pas touchées et leur température inconnue – ou flottant autour de ce corps, à jamais dans ce halo autour de ses mouvements
la houle lente de ses mouvements
qu’on ne voit plus glisser, sur la grève des yeux
remplis de mer.

ce n’est pas dans un monde d’enfant
c’est une chose de vieillard
de ce temps juste avant la mort.

quand les fonctions du corps une à une déraillent, que reste
intermittente, la flamme de conscience
– c’est juste avant de partir.

s’inscrit dans ce qui attend
notre corps, comme un lit occulte :
voix fluviales, extraits de corps morts
vase qui se soulèvera dans un dernier mouvement d’eau
tout au fond de la mer commune.

le corps mourant
touchant le fond élève
sa brune alluvion personnelle
puis dans un mouvement silencieux
s’allonge lentement – se repose.

pureté de l’eau noire, bientôt revenue
cristal de la nuit profonde.

Assise, embrasser

par claire le 14 septembre, 2012

les regards n’ont cessé de descendre
depuis l’esplanade pour se poser, mesurer
l’immense plaine en contrebas
or et brun.

la lumière n’a cessé
d’éclater de séparer
le ciel des murs de pierre
et les plantes des ombres.

les murs n’ont cessé d’enserrer
les maisons les petites rues, les églises
construites et peintes il y a longtemps, les gens
n’ont cessé de venir comme des fourmis.

et la terre a toujours tremblé
les murs ont croulé les plafonds fendus
laissant tomber à terre leur fardeau divin
d’écailles de peinture.

les fourmis ont toujours construit
leurs fourmilières, les hommes empilant
leurs villes neuves et leurs murs sur les murs passés
écroulés.

les gens n’ont cessé d’aller et de venir
sur la place haut placée que baigne la lumière du soir
les gens n’ont cessé de regarder en bas
et de se taire, embrassés.

Etre

par claire le 5 septembre, 2012

La lumière se répercute
sur les fleurs des cerisiers
le début du printemps coule
croule le long du ravin.

nous, nous fouillons les poches de la tristesse
son manteau brodé de métal terne
cherchant ses vieux sous
pour avoir quelque chose..

tenture

par claire le 11 août, 2012

c’est dans son épaisseur
(demi-voile, dévoilement)
qu’on peut vivre
tissé dans le temps, présent ailleurs
semblable aux mouvements qu’on déchiffre
dans les plis d’un rideau.

sanies
vin et pétales
pleuvent dans cette chambre,
leurs teintes riches, violacées
qu’on frotte entre deux doigts
donnent au regard du repos
– le bonheur crie au loin.

à demi-déployé dans le soir
tendu verticalement avec ses grands plis :
entre la dernière
et la prochaine fois
comme un album ouvert
la nuit qui sépare deux jours
un doigt qui marque la page.

son poids, ses couleurs brûlées
et cette verticalité de garde
pendent largement pour épargner l’intérieur :
un silence rempli de rêves
crépite.
(tout se transpercera
au réveil).

saisir alors le grand tissu,
le tordre et l’essorer
– pour voir couler le motif.

soleil (matin)

par claire le 17 juillet, 2012

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Séparations du sommeil

par claire le 4 juillet, 2012

tu dors de deux côtés.

dans le rêve
c’est l’automne
l’extrémité du boulevard,
et murs noirs, feuilles de brun rouillé
pluie – tout attend à cet endroit
la dormeuse d’autrefois
le vent, lavant les troncs
des arbres nus.

mais tu dors et
vraiment
dans la nuit
les mains du vent
travaillent ce pays :
grandes tables noires des pins
argent malléable des oliviers.

l’air baigne – envahit – le pays
sous le globe transparent de la lune
les premières traces de lumière naissent
au ciel
à l’est sur la facade des immeubles
et sur la mer d’un bleu cobalt.

jardin d’hiver

par claire le 3 juillet, 2012

donne-moi une virgule de haine,
ô déclic bien-aimé
fais jouer pour moi le pêne
vers le monde vitré
vers l’immobilité des plantes en attente.

entre les hautes parois, les traces de buée
une fin d’après-midi d’hiver
le dehors est saisi de froid.
j’ai le léger poids dans la main, métallique
l’éclat qui ouvre
la porte translucide.

la vie est ralentie, séparée de la mort
apparente du jardin tout autour .
espace fermé traversé de lueurs étranges
où les serpents des grands sansevieria
glissent et s’apparentent.

je t’ai trouvé accroupi sous la longue table
dans l’odeur de terre.
au moment où je t’ai vu – frère –
tu as renversé en arrière la tête,
dans un rire bref – un éclat.

C’est une pièce (5)

par claire le 29 mai, 2012

…..elle est entièrement vide, baignée de soleil qui dessine sur le plancher (ou le lino ?) le feston de l’ombre d’un toit. Il y a les murs blancs, les plinthes, le radiateur sous la fenêtre, un store avec une ficelle. Rien d’autre. La présence du soleil venu de dehors est la seule chose qui parle de mouvement, de changement, de temps. La pièce a été vidée de tout ce qu’y avaient mis ses habitants. Elle est entre-deux.
Peut-être c’est le jour de l’état des lieux, ce dernier jour où on revient avec le propriétaire, voir s’il n’y a pas de marque sur les murs, si rien n’a été abîmée ou détruit. C’est un petit moment de tension, on est entre gens polis, mais quand même, a-t-on dégradé ce bien qui nous était laissé en jouissance, cette enveloppe qui nous protégeait et qui nous avait été seulement prêtée ? L’argent est là, au milieu, et l’éventuelle dissimulation d’une négligence, la suspicion.
Tout cela empêche que ce dernier moment soit ce qu’il devrait être : un moment d’adieu à ce qui fut, là, vécu. La nudité de la pièce, déjà offerte à d’autres qui vont venir, vous tient à distance. Elle n’appartient qu’à elle, finalement : à ce volume d’air, à cette tiédeur de soleil, à cette beauté nue et banale, à tout son passé.

Cette nuit j’ai rêvé que j’étais morte. C’était arrivé dans une grande explosion de chaleur, de lumière, de violence. J’avais ce souvenir du dernier instant. Ma petite fille était morte aussi avec moi. J’étais là, sans être là, avançant au milieu des vivants, mes proches. Je promenais leur tristesse et la mienne dans la vie qui m’avait été ôtée. J’avais surtout le chagrin de cette petite fille disparue, que je cherchais peut-être, qui n’était plus là, et qui n’avait presque rien vécu.