Claire Ceira

rêve de la maison de retraite

par claire le 2 août, 2013

la maison de retraite, par derrière, est bordée par une sorte de talus haut et nu, argileux. Je me tiens debout à une porte, il pleut, et je me rends compte soudain que ce talus paraît creux, fissuré, et qu’il ondule, comme si quelque chose s’y déplaçait. Je suis inquiète : au delà de ce talus, je sais que se trouve le zoo. Soudain la surface du sol crève, et apparaît un crocodile qui rampe et disparaît aussitôt, couvert de boue. La pluie tombe en effet en rideau serré, et l’espace situé au delà du talus n’est qu’une fondrière trempée, pleine de traces de petits pas, ou de petites pattes. Je dois pourtant absolument la traverser, avec quelqu’un de plus fragile, qui ne peut aller vite. On me dit que dernièrement un enfant a été dévoré ici par un des crocodiles, qui se sont échappés de leur enclos, car le zoo périclite et il y a une grande négligence. Je suis d’autant plus indignée que je sais que ce sont des gens pauvres qui vivent là, et que la mort d’un enfant de cet endroit ne choque guère. Je parviens quand même à traverser l’espace dangereux, en courant presque, sous la pluie, avec la personne qui m’accompagne. On atteint un parking où des amis nous attendent.

les monstres des rêves
– les dévorations latentes –
de là où nous fûmes jetés
et rangés
nous regardons tomber la pluie
à l’abri d’un avant-toit.

la gueule profonde et rose
du petit crocodile en plastique
bordée d’un feston de dents

la terre comme un terrier, un tube boueux
d’où jaillit sous la pluie battante
ce qui fut si longtemps enfermé
rangé.

il faudra, il faudra bien traverser.

vieillir fatigue

par claire le 1 août, 2013

(à Cesare Pavese)

nulle dérive n’écarte plus les navires
des lignes tracées dans la matière salée de l’eau
l’artifice ne fait plus illusion, nul baiser ne révèle
dans la nuit du trou de l’oreille
ce qui viendrait retourner l’histoire
comme un gant.

entre les pommiers dont tu connais chaque fourche
le parfum de cire froide en automne
passe le regard.

– et puis –

devant les livres dressés sur les gondoles des hypermarchés
les fillettes qui semblent se dandiner sur leurs escalators
les foules et les pensées parasites
habitant l’esprit dans la lumière du jour
ou l’intimité de la nuit
grinçant crissant, craies impures

tu sens monter la fatigue
de toi et du monde.

rêve du travail ensemble

par claire le 24 juillet, 2013

Il vit dans un long jardin. Jamais il n’apparaît vraiment dans le rêve, c’est plutôt une silhouette, en retrait.
Au bout du jardin se trouvent des bâtiments, dans lesquels il entrepose tout ce dont il a besoin (et que sans doute il habite). En particulier, au fond d’une pièce peu utilisée, peu éclairée, il y a une étagère basse avec toute une collection de boîte plates de métal brillant, cylindriques, dans lesquelles il garde, sans marque distinctive, des vidéos, des films. Je suis surprise du nombre de documents qu’il a collectés, surprise aussi de la sûreté avec laquelle il va les choisir, comme s’il avait tout en mémoire.
Je travaille avec lui. Ce travail, ce qui en naît, c’est un plaisir profond, encore accru par le fait qu’il se fasse ensemble….il me semble qu’il n’y a rien d’autre qui puisse égaler cette satisfaction.
Une jeune fille passe dans ce jardin, elle est blonde, ses sourcils eux-mêmes sont dorés ; elle promène sa beauté, elle est avec lui, elle est en dehors du travail.
Une autre jeune fille apparait dans le rêve, aux cheveux châtain roux. Elle les coiffe d’un bandeau, utilisant pour les lisser en arrière le mouvement violent du vent. Elle dit naïvement : j’aime quand j’ai raison.
Sur un côté du jardin, j’ai creusé une tranchée, et j’y ai installé de grands tronçons de branches de cerisiers. Ils feront des racines, puis des arbres. Lui me fait remarquer que le dernier d’entre eux est trop proche d’un arbre déjà adulte qu’il va gêner, alors je l’enlève. Il en reste encore 5 ou 6.

le jardin est comme un sarcophage – il vire au vert tout entier dans le soir
où luit et s’ouvre
la boîte cherchée, et c’est ce qu’il fallait ce soir pour terminer.
la journée s’est passée comme les précédentes
calme sourde et féconde
et le temps est fécond – sans mesure et sans chiffre.

tout vient prendre sa place
dans ce qui naît sous nos yeux
le double regard suffit
pour trouver tout.

de même, dans l’architecture cachée du jardin,
dans les allées qui entourent les longs bâtiments
on plante et donne
à chaque espace son végétal
à chaque végétal une part de lumière, un trou.
et le temps ne coule plus
à cause de cette fécondité, de cette architecture secrète,
à cause de ce qui doit être, qui est.
le temps s’avance à son rythme.

rêve de la jalousie

par claire le 9 juillet, 2013

qui reprend après moi
le mélange des rêves ?

(Nevchehirlian : Dans le stade)

je suis amoureuse d’un homme. Il vit dans une grande chambre, dans une ville éloignée de chez moi. Je vais chez lui, en fraude, car moi-même je vis avec quelqu’un d’autre.
Sa ville, je la connais bien, j’y ai grandi, avec des ruelles tortueuses aux murs de pierre claire, et beaucoup de monde, des petits commerçants, des artisans. On dirait presque un souk. J’y connais encore des gens, je m’y sens chez moi (c’est Arles).
Pour aller chez lui je quitte l’autre ville, où se trouve ma maison ; c’est aussi une ville du Sud, aussi une ville blanche, mais presque déserte, une ville où vivent des gens plus riches. Quand j’arrive chez lui, le soir tombe, et, alors que nous sommes déjà dans des préliminaires amoureux, sonne son amie habituelle. Empruntée, niaise, il ne lui a pas dit de ne pas venir bien qu’il soit assez autoritaire avec elle, je ne comprends pas pourquoi. Nous nous couchons à trois dans le lit, je n’arrive pas à dormir, je suis déçue, contrariée.
Alors que je suis repartie, le lendemain, j’entends dire que des gens le cherchent, une sorte de milice qui fait régner la terreur dans la ville. Ils sont aux ordres d’un homme qui est jaloux de lui, à cause de moi. J’ai peur, je m’inquiète.
Puis j’apprends qu’il a été capturé, qu’on l’emmène avec d’autres prisonniers sur un navire qui fait la jonction entre les deux villes, par le fleuve. On me raconte qu’il protestait, mais que soudain il y a eu un silence inquiétant qui a duré plusieurs heures. En fait ils l’ont bâillonné, et lui ont brûlé les pieds, profitant du trajet où il n’y avait pas de témoin, l’emmenant dans l’autre ville riche et froide.
Je le vois plus tard, il ne peut presque plus marcher. Il me dit qu’il regrette le temps où il pouvait le faire, courir et bondir.

le fleuve fait le lien
entre deux villes
allers, retours,
dans la ville de l’enfance se trouve tout ce qu’on peut désirer
– et le danger.
dans la ville de l’enfance et du désir se trouve
la chambre en triangle
de l’insomnie

un chagrin une colère lasse
une rage fanée

dans le long voyage du bateau se trouvent
les représailles, les miliciens.

ô toi qui m’as sortie de moi
te voici maintenant enfermé
dans les extrémités brûlées
de toi.

rêve des générations

par claire le 8 juillet, 2013

Il s’agit d’une réunion de travail, une sorte de colloque. Il se tient dans un parc aux larges allées sableuses. Les participants doivent s’asseoir sur des chaises, de chaque côté, mais ils ne sont pas encore là. Je prépare les interventions avec une femme, bientôt va arriver la principale conférencière. J’ai prévu un topo, avec des paragraphes : I, II, jusqu’à V. On parle de la prise en charge d’adolescents.
La conférencière arrive, mais elle n’a pratiquement rien à dire et je suis frustrée parce qu’on ne me donne pas la parole vraiment, pourtant j’avais finalement eu beaucoup d’idées. Le dernier paragraphe s’appelait : « L’identité » et traitait de la façon dont la question des générations joue son rôle dans cette construction.

Ensuite, le rêve se transforme : c’est une réunion de famille, un repas dans une grande salle, qui est tout juste terminé : presque tout le monde a quitté les tables, on parle en petits groupes. L’ambiance est assez étouffante. Il y a là un adolescent, qui m’emmène au dehors, et je respire mieux dès que nous nous sommes éloignés. Il est tard, la nuit tombe. Il me conduit dans une sorte de petite maison de chasseurs, au bord de la forêt. Je me demande s’il va m’embrasser, me serrer contre lui. Mais je réalise que je suis plus âgée que lui, alors je prends simplement sa main aux longs doigts et l’embrasse avec douceur.
De retour dans la salle du repas, je discute avec des femmes. Elles m’apprennent, en parlant assez bas, que 5 bébés vont bientôt naître dans la famille : 4 sont les enfants de jeunes femmes, mais – c’est incroyable – le dernier est l’enfant de mon oncle et ma tante, qui ont plus de 75 ans. Ma tante enceinte est rentrée chez elle, pour préparer la naissance, on dit qu’elle est prête à assumer ce bébé tardif, mais pas mon oncle, qui est assis au bord de la salle, nous tourne le dos et semble accablé. Je me dis, en voyant de loin son visage très âgé, que je le comprends. Il craint de mourir quand l’enfant sera très jeune encore, de ne pouvoir bien jouer son rôle.


tout se mélange dans cet endroit
tandis que je repose, mon esprit dort et fait le rêve
dans l’endroit qui n’existe pas
règne une lumière latente.

parentés, âges de la vie
amours – amour
et moi qui bée,
retournée, remuée saisie
(béante remuée, saisissante)
moi qui me laisse faire
touchée
par tout ce qui surgit du torrent
bondissant de ses bords

…..auxquels
quand même
je me cogne.

membranes

par claire le 8 juillet, 2013

Sortis des lèvres brunes de la nuit
émergeant de ces lèvres
Gaspard, Luc et Rainer
t’entourent de leurs petits bras de coton.
Qui leur ôta la vie, les en priva ?

Toi qui portes tant de chair chaude
tu l’as enfouie dans le lit
tu rêves de soleil tu rêves d’eux….. rouge
ton sang irrigue le grand pays de la chair, silencieux.

Ils errent, sous la surface du temps – l’eau froide
sortant leurs têtes pâles et leurs courts cheveux
de l’eau du sommeil, et grandissant soudain d’enfant en homme
chacun à son tour t’encercle – chacun à son tour
saisit tes seins.
Ton rêve est centré sur leurs visages tristes
mais chaque fois tu te lèves et tu l’oublies.
Leur petites canines d’ivoire
grincent de chagrin.

Et toi tu regardes
souvent par la fenêtre
celui qui passe, de dos.

Le jour vitré perd sa substance, le vivant
boit la mort.

(le tableau est de Marie Hélène Biovir)

rêve de l’université

par claire le 8 juillet, 2013

C’est une fac dans un état lamentable. Portes préfabriquées battantes et dégradées, murs sales et couverts d’inscriptions, tout est cassé, de mauvaise qualité, pisseux et froid , couleurs blanches, grises ou bleue pâles.. .aux murs sont fixés avec des punaises des petits papiers à moitié déchirés, écrits à la main, des imprimés périmés. Les étudiants naviguent là-dedans avec philosophie, se rassemblent autour de leurs professeurs dans une salle, tables le long des murs disposées en un grand rectangle. C’est le début de l’année.
Celle d’avant s’est mal terminée pour moi, parce que je n’ai absolument pas travaillé, c’est à peine si je connaissais les matières enseignées, encore moins les horaires des cours. Cette année j’ai décidé de m’y mettre, alors je commence par aller consulter le planning.
C’est un étrange document, en forme de jupe plate, posé sur une table. La couverture est en tissu, du jean ; les feuilles à l’intérieur sont plastifiées, gondolées, et tout le monde les tourne avec précaution, regarde les tableaux qui indiquent les horaires et les salles de cour. C’est une fac où on enseigne les techniques de l’habillement.
J’entre et m’assieds dans cette grande salle, à une de ces tables. On parle de ce qui s’est passé l’année dernière…quelque chose est arrivé à une fille nommée Rebecca, et ils échangent à mots couverts. Je ne suis au courant de rien, il semble que tout le monde se sente assez coupable. Il y a à côté de moi un garçon que je connais depuis longtemps, qui s’appelle X, que j’ai eu plaisir à retrouver car ainsi je me sens moins étrangère. Un des professeurs se lève et parle, debout à ma droite. Il est entre deux âges, vêtu de couleurs ternes, de ces vêtements sans attrait des années 60 (comme dans le film sur Hannah Arendt). Je ne comprends rien de ce qu’il dit.

vacance

par claire le 8 juillet, 2013

Mountain passes slipping into stones
Hearts and bones

Paul Simon (« Hearts and bones »)

Une longue route enneigée, en montagne, à la tombée du jour. Dans la voiture, les parents et les deux enfants (le dernier est très petit, moins de trois mois) ; la fille – elle aussi très jeune – parle à peine.
Elle a beaucoup de mal à s’y faire, à l’arrivée de ce frère, de ce bébé dans son lit-auto ;
elle a besoin pour le supporter d’une musique, comme une chambre d’écho.
Alors tout au long du voyage ils écoutent de très nombreuses fois ce même CD : des chansons en langue étrangère, le long de cette route où la nuit devient de plus en plus noire et épaisse, où luit à peine la phosphorescence de la neige. Le froid dur comme une menace dans l’obscurité, comme l’armée d’une guerre invisible, et les hautes parois dressées des montagnes, les sapins plus noirs encore, leurs obliques tracées de blanc.
Tout au long des incessants virages, serpent gris dont la tête cherche l’abri encore inconnu, ils habitent cette bulle de lumière, que remplissent la voix, les mélodies, et la poignante nostalgie du chant. La petite fille demande à écouter encore et encore. Et sa mère, elle aussi saisie dans cette tristesse fluente, profonde, des premiers mois si étrangers de la vie, accepte et se tait.

C’est ainsi toute la soirée, jusqu’à ce qu’elle s’endorme, et qu’ils arrivent enfin en milieu de nuit, après une erreur de trajet, dans un petit deux pièces glacé et sans âme qu’il faudra, très vite, rendre chaud et vivant.

dix mille feuilles (repris)

par claire le 5 juillet, 2013

.

Il se glisse entre les feuilles
de la nuit – hors des lumières
l’exil sans danger
les perles blanches comme jetées
au hasard dans leur lueur
notes réfléchies
orangées.

une main posée sur la branche,
il cherche encore du regard
ce qui coule tout au fond. Les feuil-
lets de la nuit s’écartent
odeurs de mine de crayon
d’encens comme velours brun,
dans leur haleine.

les branches élaguées du rosier
le dais de la nuit qui s’étend
sur ce fouillis – sur le sol
les épines inutiles
et le gris du soir descend
sur ce jardin de fin d’hiver.

Il a saisi dans la nuit
un fin bruissement de sable
touche l’eau coulant du ciel
le long des lianes cachées
et tout se prend
il est seul
là où le vent s’est posé.

rêve de la prairie haute

par claire le 30 juin, 2013

Je suis interne dans un service hospitalier, c’est un hôpital comme autrefois, il y a des salles communes et je circule entre les lits. Les gens (ou les enfants ?…….je crois voir un ours en peluche) sont tranquilles, j’ai ma blouse et mon stétho, je fais mon boulot.
Puis je rentre chez moi, je suis fatiguée, alors je vais dormir. Quand je me réveille, pensant qu’il est 14 h, en fait il est plus de 16h15 ……je dois retourner à l’hôpital, car je n’ai pas vu les familles. Depuis que je suis interne dans ce service je n’ai jamais vu les familles et pourtant c’est ce qui doit être fait. Il y a aussi une contre-visite peut-être ? Je prends une douche, m’enveloppe dans mon grand peignoir gris. En sortant de la cabine de douche je me rends compte qu’il y a beaucoup de monde dans la maison. Il y a en particulier à côté de moi un homme, avec son visage mince et ses yeux clairs – on est amis, il me sourit – je pars. Une femme est là, elle me propose de partir avec elle dans sa voiture, on grimpe ensemble sur une grande butte de terre glaise nue et glissante, beige, et elle perd l’équilibre, je la rattrape sous le bras, son bras maigre et nu à l’aisselle profonde.
Elle me dit alors qu’elle doit passer chez le boulanger ; je lui réponds un peu agacée que je vais prendre ma voiture, car on ne va pas au même endroit et que je suis en retard. Le sentier devant moi fait une fourche, je prends celle de droite pour rejoindre l’endroit où m’a voiture est garée. Il y a des gravillons.

J’arrive à l’hôpital, dans le service où règne déjà la pénombre. Je vais voir les familles, les gens m’attendent.
A l’intérieur du rêve je m’interroge…… je repense à la dernière fois où j’ai vu cet homme, cet ami : l’ai-je vraiment vu ou était-ce aussi un rêve ? Cet après-midi passé à marcher dans une grande prairie à l’herbe haute, déjà un peu sèche par endroits, avec des sentiers presque invisibles, parallèles mais éloignés de plusieurs mètres, où on avance enfoncés jusqu’à la taille. On n’est pas dans le même sentier mais on se parle en riant par dessus l’étendue d’herbe baignée de lumière……juste la joie du rire et d’une complicité.