jardin de nuit (r)
par claire le 15 mars, 2016
du haut de l’acacia descend son odeur
suave sur le jardin entier
les murs de briques
le lierre
elle pénètre
tous les toits entrouverts
(velux éclairés et fenêtres)
avec le cri répété d’un bébé
qui ne dort pas.
nuits serties d’or
en chaîne longue
intercalées de jours et si noires
ou marines – long serpent
collier autour de la maison.
quand la chaîne
un jour ou une nuit casse
où va ce que nous avions
si subtilement exercé ?
octobre (r)
par claire le 8 mars, 2016
parfois je pense que je n’avais pas le droit
parfois je me dis que tout s’est déroulé à l’intérieur
et que la pluie les larmes étaient pour les autres.
leurs jouets de plastique de papier de bois et de verre
leurs bijoux leurs touchers leur colère pareille
leurs possessions et même leur désespoir
j’ai eu en abondance le droit de les regarder de les voir.
j’ai mené la petite barque dans le fleuve limoneux.
ces idées d’automne
je les chasse
il y a des évidements
la vérité creuse des galeries dans les rives.
quand ça tombera je grandirai soudain
comme une tour encore très loin
au dessus des quartiers des canaux des jardins ouvriers
plus haut que les immeubles
et les oiseaux me toucheront
dans l’isolement d’air libre
nuées blanches et grises, bleu.
l’épreuve
par claire le 8 mars, 2016
ces frondaisons contre le ciel/ qui n’étaient pas là hier/ regarde par la fenêtre/ la lumière a baissé d’un cran/ bientôt on prendra la route qui mène au tunnel / et qui grimpe tellement/ qu’on a mal dans les cuisses/ et à l’intérieur de la poitrine/ à la recherche du souffle – sans repos et sans halte.
on voudrait l’éviter/ surtout à cette enfant tenue à bras/ qui aurait dû rester dans sa chambre/ pleine de jouets/ dans sa vie où les visages se penchaient, radieux/ et qui affronte avec eux cette pente trop dure/ pour les adultes/ qui pleurent en se cachant d’elle.
je m’aperçois que ce poème pourrait parler de réfugiés mais c’est une toute autre histoire l’histoire d’un malheur qui vient de pénétrer dans la vie d’une petite fille.
et c’est ainsi que se rejoignent tous les paysages si on se donne la peine de les peindre.
tous nous avons connu ce noir pas du tout velouté ce noir glaçant
et l’incertitude finale.
tous nous avons maudit la gravité qui nous écrasait et les branches
basses dont l’été a ôté toute vigueur, si sèches, sèches
et le ciel d’un blanc plâtreux.
nous savons que nous ne savons pas comment vivre l’épreuve
l’échange des chagrins qui passent
par les même canaux que l’amour.
grave (reprise)
par claire le 4 mars, 2016
j’allais le voir en voiture
j’allais voir ses cendres
son nom sur le monument au mort
j’allais voir ce qui restait de son esprit
dans ce pays de vignes
dans l’après-midi orangée,
dans le rétroviseur.
et toutes les routes s’ordonnaient
et tous les fleuves passaient s’inscrivaient
sur le monument aux morts
et cendres cendres dans l’après midi turquoise-orange
tous les châteaux toutes les guerres
bitume et cendres et fin de tout.
et tous les voyages
vers lui vers son esprit jamais,
jamais absent.
la limite
par claire le 27 février, 2016
te voila qui reviens
dans cette assemblée
dans le parc qu’on a toujours connu.
les gens parlent entre eux, et toi, au bord du bassin
tu montres une chose à demi-transparente
comme un simple secret.
tout ressemble à une photo, un peu grise, manquant de contraste
même ce mot que tu dis : non…
ce que vivent les gens. l’assemblée sans but
et moi qui tourne au ras des arbres.
une fillette est debout
à côté d’un homme
bien plus grand qu’elle,
ce désir d’être vue,
et le soleil voilé qui bouge
allume, éteint les ombres tout autour.
c’est l’été les corps sont peu vêtus, on pourrait presque toucher
cette plage lisse, à la racine du cou.
sous les doigts la boîte s’ouvre
avec un petit morceau de plastique
ou de cire rouge qu’on devine au centre.
je t’ai posé une question sur cet objet rouge
à laquelle tu n’as pas répondu.
ailleurs,
dans le fouillis des grands arbres, le domaine de l’odeur
terre et lierres, sécheresse de feuilles
gardant l’humide sous leur lit
c’est là qu’on contourne les troncs
qu’on s’enfonce toujours plus loin, plus seul.
ruelle intérieure
par claire le 22 février, 2016
ruelle intérieure
lumière,
petite voie trouée
derrière le carton d’une journée sans grâce
l’échappée d’une rue étroite
qui descend en tournant
et dévide son ombre
vers un quai ou vers une place,
c’est égal.
le sol est toujours malaisé,
les murs toujours irréguliers, trop hauts
pour qu’on voie les jardins
et l’après-midi toujours chaude, silencieuse.
qui marche près de toi ?
qui ressent les mêmes choses ?
la rue garderait la mémoire de tous les enfants qui l’ont dévalée
de tous les cris de toutes les pluies
comme une ouverture se découvre en tournant,
en descendant.
on n’est pas encore arrivé
les écailles des murs font des cartes de géographie
de pays que personne n’imagine.
et là-haut
contre le ciel bleu roi
tu vois cet arbre comme un dessin
une encre.
engloutis (r)
par claire le 20 février, 2016
le monde est devant soi
soleil qui flotte à moitié dans l’eau des rizières
à la limite d’un ciel cuivré
je t’engage à m’y attendre
avec l’animal qui glisse le long de ton flanc
et son oeil entrevu
comme une petite sphère de chagrin.
ou bien dans le couloir des avalanches et des ruades
pour la naissance du chevreau
garde avec toi ce qu’on emmène partout
les bras qui se balancent
l’eau bue au milieu de la marche
et la carie qui vous écarte
de vos prétentions.
mais ce que tu as : ce mur d’enceinte
cette sorte de rire
ce rayon obscur derrière la montagne
toi seul le maintiens
quand tu t’enfuis
quand tu t’enfonces.
ventre blanc de brochet, nageoires
mouvement tournant
ruisselant.
hortillonnages (r)
par claire le 12 février, 2016
En haut de la rue il y a une barrière, avec un panneau de déviation
je passe tout près de l’embarcadère
par la rue de l’abbé de l’Epée
je passe près du café Du jeu de boules
entre dans l’impasse Marcel.
je ne vais pas sur le parking, je ne prends pas la longue rame écaillée,
je n’enfile pas mes bottes.
je ne prends pas la barque,
je n’y fais monter aucun chien.
Je me souviens de l’eau qui fumait
des feuilles pourrissantes,
l’odeur de l’eau doucement vaseuse
et le vent parfois qui déviait la barque,
les canards volant au-dessus.
chaque mètre de rive, chaque petit terrain
avec ses cultures, ses fleurs et ses adventices
et les longues mèches des saules
traînant dans l’eau
c’est le passé.
comme tous les yeux que j’ai vus.
la rue miroite, un poids lourd a creusé des trous profonds
dans le bitume affaibli.
le gel a laissé cela derrière lui,
et la barrière de dégel, le panneau de déviation jaune.
« Ann » de Fabrice Guénier
par claire le 9 février, 2016
J’ai fini le livre hier.
Quand je l’ai commencé je me suis dit que j’allais en avoir pour très longtemps, parce que c’était de la poésie, et que je ne peux lire ça que très lentement, presque ligne par ligne, page par page, pour donner à chaque image et chaque mot son poids, son empreinte.
Mais finalement c’est aussi un récit, et je l’ai donc lu de façon continue, j’y ai même passé la moitié de mon dimanche.
C’est un livre vraiment puissant, je crois que je n’avais pas ressenti ce genre de chose depuis « La trilogie des confins » de Cormac McCarthy. Peut-être je ne l’aurais pas appelé « roman », mais plutôt « poème », ou « témoignage ». Il m’a semblé qu’il s’agissait de ça : témoigner de l’existence de quelqu’un, de sa présence, témoigner de ce que peut faire vivre l’état amoureux quand il va aussi loin.
Il y a quelque chose à quoi j’avais déjà pensé en lisant les bouquins de Manset (les premiers), cette question du statut d’étranger absolu que prend celui qu’on aime, étranger et en même temps alter-ego, double de soi dans un espace central, commun…et la force de cette double réalité incompatible. Tomber amoureux c’est entrer en pays étranger, avec un guide. Je suppose que c’est encore plus puissant et plus troublant quand l’autre est d’une autre culture, d’un autre pays, d’une autre génération, aussi éloigné qu’il est possible dans son identité. Là on a l’impression que c’est presque un divorce intérieur, la tentation impossible de devenir vraiment l’autre, de devenir comme elle, de s’arracher à ce qu’on est. Et du coup une forme d’horreur pour cette identité qu’on porte, ou en tout cas une étrangeté, un refus des miroirs que renvoient les hommes occidentaux qui sont là, sous les yeux, et des miroirs tout court.
Pourtant on le sent tout le long du livre, ce qu’est le narrateur, son âge, son corps, son origine, et combien il aspirerait à se dissoudre dans le monde qui l’entoure.
Il y a aussi toute une méditation sur la question morale, spirituelle au sens où la jeune fille devient peu à peu par sa façon d’être et de vivre une sorte de « maître », avec encore une fois une inversion du sens commun, des préjugés, des donneurs de leçon.
Mais bon, ce sont encore des idées tout ça, le livre est surtout extrêmement contemplatif, poétique, y compris dans la deuxième partie, la partie de la maladie et de la mort, devant l’horreur. Là encore, l’identité se dissout, parce qu’il devient nécessaire de devenir comme une mère, dans son rôle le plus profond et le plus terrible : accompagner, impuissante, la souffrance et la mort de son enfant, qui – elle – devient de plus en plus petite, réduite à l’état d’un nourrisson presque, et soumise à une torture sans bourreau (sinon Dieu).
Il y a aussi en arrière-plan la question de l’occident, de ce que nous avons fait de nous-mêmes. Et un appel au féminin, à la simplicité, à l’acceptation, au sens de la vie qui serait comme un brouillon toujours à parfaire, vie après vie. Tout le temps, comme un mystère et un leitmotiv : la beauté.
corridor
par claire le 8 février, 2016
petit messager dans le couloir humide
profil égyptien aux oreilles décalées
tu guettes deux choses qui s’opposent
le passage furtif d’une vie-proie
les portes qui se referment.
tes yeux sont des fentes remplies d’eau verte
tu mourras sans qu’on te retrouve
dans un appentis perdu, ou bien dans une canalisation
en attendant
tu guettes l’instant exact
du bond.
les murs sont hauts, le sol trempé
tu t’es posé au seul endroit sec
toutes formes passent près de toi
sans que tu bouges d’un poil
lire dans les flaques
ta divination électrique
des graviers qui ont roulé là
et dans quelques heures, avant le creux de la nuit,
du passant qui te fera fuir.