maison folle
par claire le 27 juin, 2016
cela
vous fait entrer dans la folie du monde
pencher la tête du même côté que l’arbre
et sentir le vent du désert qui ruine les canaux des feuilles.
c’est se sentir suspendu
sans sol ni jambes
tentant de s’allonger de tout son long sur ce courant qu’on ne comprend plus.
le cadenas de la petite clef familière on l’a perdu depuis longtemps
le vent ne s’ouvre plus à cette porte-là.
il souffle seulement à l’intérieur
il tourne et tourne dans la maison imperméable
arrache les tableaux des murs et ouvre le lit,
ne fera pas le tour de la terre.
elle
coincée dans la cheminée,
en haut du toit brandit la clef d’un coffret dérisoire,
noire de suie.
nocturne
par claire le 11 avril, 2016
il m’arrive d’écrire encore dans ma tête, car rien ne remplace pour moi ces lettres, leur voix intérieure, leur appel vide. et rien ne remplace l’attente vide, sa puissante densité.
je ne les adresse pas, il n’en est plus question.
ce serait absurde et je suis allée loin dans le beau pays de l’absurdité, allée et revenue.
et je me repose dans l’oubli de cette question. dans ma patrie non-absurde.
mais je suis amputée, c’est évident, du membre fantôme
irrigué de ce courant-là.
je suis dans cette pièce où quelqu’un dort. la ville est tout autour – après la pluie, la nuit. tous ces kilomètres que je fais, pour voir mes enfants, mes amis.
j’ai moi-même fermé la frontière trouble
pour le temps de cette vie.
je ne reverrai plus jamais la maison des origines
ni les longs jeux dans le soir
ni ceux que j’ai suivis, d’île en île boueuse, et sans me laisser voir
ni la voix qu’appelaient ces lettres.
jardin de nuit (r)
par claire le 15 mars, 2016
du haut de l’acacia descend son odeur
suave sur le jardin entier
les murs de briques
le lierre
elle pénètre
tous les toits entrouverts
(velux éclairés et fenêtres)
avec le cri répété d’un bébé
qui ne dort pas.
nuits serties d’or
en chaîne longue
intercalées de jours et si noires
ou marines – long serpent
collier autour de la maison.
quand la chaîne
un jour ou une nuit casse
où va ce que nous avions
si subtilement exercé ?
octobre (r)
par claire le 8 mars, 2016
parfois je pense que je n’avais pas le droit
parfois je me dis que tout s’est déroulé à l’intérieur
et que la pluie les larmes étaient pour les autres.
leurs jouets de plastique de papier de bois et de verre
leurs bijoux leurs touchers leur colère pareille
leurs possessions et même leur désespoir
j’ai eu en abondance le droit de les regarder de les voir.
j’ai mené la petite barque dans le fleuve limoneux.
ces idées d’automne
je les chasse
il y a des évidements
la vérité creuse des galeries dans les rives.
quand ça tombera je grandirai soudain
comme une tour encore très loin
au dessus des quartiers des canaux des jardins ouvriers
plus haut que les immeubles
et les oiseaux me toucheront
dans l’isolement d’air libre
nuées blanches et grises, bleu.
l’épreuve
par claire le 8 mars, 2016
ces frondaisons contre le ciel/ qui n’étaient pas là hier/ regarde par la fenêtre/ la lumière a baissé d’un cran/ bientôt on prendra la route qui mène au tunnel / et qui grimpe tellement/ qu’on a mal dans les cuisses/ et à l’intérieur de la poitrine/ à la recherche du souffle – sans repos et sans halte.
on voudrait l’éviter/ surtout à cette enfant tenue à bras/ qui aurait dû rester dans sa chambre/ pleine de jouets/ dans sa vie où les visages se penchaient, radieux/ et qui affronte avec eux cette pente trop dure/ pour les adultes/ qui pleurent en se cachant d’elle.
je m’aperçois que ce poème pourrait parler de réfugiés mais c’est une toute autre histoire l’histoire d’un malheur qui vient de pénétrer dans la vie d’une petite fille.
et c’est ainsi que se rejoignent tous les paysages si on se donne la peine de les peindre.
tous nous avons connu ce noir pas du tout velouté ce noir glaçant
et l’incertitude finale.
tous nous avons maudit la gravité qui nous écrasait et les branches
basses dont l’été a ôté toute vigueur, si sèches, sèches
et le ciel d’un blanc plâtreux.
nous savons que nous ne savons pas comment vivre l’épreuve
l’échange des chagrins qui passent
par les même canaux que l’amour.
grave (reprise)
par claire le 4 mars, 2016
j’allais le voir en voiture
j’allais voir ses cendres
son nom sur le monument au mort
j’allais voir ce qui restait de son esprit
dans ce pays de vignes
dans l’après-midi orangée,
dans le rétroviseur.
et toutes les routes s’ordonnaient
et tous les fleuves passaient s’inscrivaient
sur le monument aux morts
et cendres cendres dans l’après midi turquoise-orange
tous les châteaux toutes les guerres
bitume et cendres et fin de tout.
et tous les voyages
vers lui vers son esprit jamais,
jamais absent.
la limite
par claire le 27 février, 2016
te voila qui reviens
dans cette assemblée
dans le parc qu’on a toujours connu.
les gens parlent entre eux, et toi, au bord du bassin
tu montres une chose à demi-transparente
comme un simple secret.
tout ressemble à une photo, un peu grise, manquant de contraste
même ce mot que tu dis : non…
ce que vivent les gens. l’assemblée sans but
et moi qui tourne au ras des arbres.
une fillette est debout
à côté d’un homme
bien plus grand qu’elle,
ce désir d’être vue,
et le soleil voilé qui bouge
allume, éteint les ombres tout autour.
c’est l’été les corps sont peu vêtus, on pourrait presque toucher
cette plage lisse, à la racine du cou.
sous les doigts la boîte s’ouvre
avec un petit morceau de plastique
ou de cire rouge qu’on devine au centre.
je t’ai posé une question sur cet objet rouge
à laquelle tu n’as pas répondu.
ailleurs,
dans le fouillis des grands arbres, le domaine de l’odeur
terre et lierres, sécheresse de feuilles
gardant l’humide sous leur lit
c’est là qu’on contourne les troncs
qu’on s’enfonce toujours plus loin, plus seul.
ruelle intérieure
par claire le 22 février, 2016
ruelle intérieure
lumière,
petite voie trouée
derrière le carton d’une journée sans grâce
l’échappée d’une rue étroite
qui descend en tournant
et dévide son ombre
vers un quai ou vers une place,
c’est égal.
le sol est toujours malaisé,
les murs toujours irréguliers, trop hauts
pour qu’on voie les jardins
et l’après-midi toujours chaude, silencieuse.
qui marche près de toi ?
qui ressent les mêmes choses ?
la rue garderait la mémoire de tous les enfants qui l’ont dévalée
de tous les cris de toutes les pluies
comme une ouverture se découvre en tournant,
en descendant.
on n’est pas encore arrivé
les écailles des murs font des cartes de géographie
de pays que personne n’imagine.
et là-haut
contre le ciel bleu roi
tu vois cet arbre comme un dessin
une encre.
engloutis (r)
par claire le 20 février, 2016
le monde est devant soi
soleil qui flotte à moitié dans l’eau des rizières
à la limite d’un ciel cuivré
je t’engage à m’y attendre
avec l’animal qui glisse le long de ton flanc
et son oeil entrevu
comme une petite sphère de chagrin.
ou bien dans le couloir des avalanches et des ruades
pour la naissance du chevreau
garde avec toi ce qu’on emmène partout
les bras qui se balancent
l’eau bue au milieu de la marche
et la carie qui vous écarte
de vos prétentions.
mais ce que tu as : ce mur d’enceinte
cette sorte de rire
ce rayon obscur derrière la montagne
toi seul le maintiens
quand tu t’enfuis
quand tu t’enfonces.
ventre blanc de brochet, nageoires
mouvement tournant
ruisselant.
hortillonnages (r)
par claire le 12 février, 2016
En haut de la rue il y a une barrière, avec un panneau de déviation
je passe tout près de l’embarcadère
par la rue de l’abbé de l’Epée
je passe près du café Du jeu de boules
entre dans l’impasse Marcel.
je ne vais pas sur le parking, je ne prends pas la longue rame écaillée,
je n’enfile pas mes bottes.
je ne prends pas la barque,
je n’y fais monter aucun chien.
Je me souviens de l’eau qui fumait
des feuilles pourrissantes,
l’odeur de l’eau doucement vaseuse
et le vent parfois qui déviait la barque,
les canards volant au-dessus.
chaque mètre de rive, chaque petit terrain
avec ses cultures, ses fleurs et ses adventices
et les longues mèches des saules
traînant dans l’eau
c’est le passé.
comme tous les yeux que j’ai vus.
la rue miroite, un poids lourd a creusé des trous profonds
dans le bitume affaibli.
le gel a laissé cela derrière lui,
et la barrière de dégel, le panneau de déviation jaune.