Comme beaucoup de grands penseurs, je viens d’un milieu paysan. J’ai toujours été surpris par la pauvreté du vocabulaire que je retrouvais au foyer, par des habitudes que je savais surannees. J’étais convaincu qu’on y avait vécu la disette en temps de guerre, ou quelques régimes autocratiques. Les formules toutes faites et creuses y faisaient légion, ainsi que des peurs anciennes. C’était l’an 40. Heureusement je trouvais à l’extérieur la modernité, notre époque, des amis. Je réussis à développer un langage instruit peu à peu, ainsi qu’une intuition pour fuir ce carcan et cette paysanerie. Rusé, je laissai penser à mes tuteurs quelques fois que je partageais leurs principes et leurs règles, et que j’appréciais leurs fonctions familiales. Dès mon indépendance, je découvris la grande culture, avec laquelle j’avais eu déjà quelques familiarités, des systèmes de pensée variés ainsi que la richesse du vocabulaire. Je m émancipai de la paysanerie définitivement. J’y ai conservé néanmoins quelques aptitudes aux jurons et à la vulgarité, parmi lesquels j’avais évolué dès ma naissance.