Mojave ghost.

DEVASTATION

On a bu de ce monde la coupe altière
Le poids de ceux qui pèsent
Et meurent dans le produit de la terre

On a menti, bafoué, escroqué le corps
Ses os et ses muscles
Pour en faire l’esprit qui souffre

On a supplanté aux arbres des cactus
Pour que saignent les lobes de la terre
On a vendu au plus offrant la liberté

Pour qu’elle s’éteigne dans des feux échoués

L’évolution passe par l’arrêt du monde, chaque fois que l’histoire a évolué le monde s’est arrêté. Aujourd’hui il y a un blocus sur l’arrêt. Il faut absolument arrêter le monde et passer par une de ces failles, il faut trouver un espace dans le temps, car c’est en cela que consiste cet arrêt. Mais cet espace peut être le paradis autant que la face cachée de la lune, et il n’y a aucune justice pour cet espace, pas de celle des hommes du moins.

Vous devez tuer le monde et les gens, tuez les, trouvez la faille, tuez ce putain de monde et trouvez la faille. Il y a toutes sortes de failles, il y en a une qui ne pense plus, les sons y sont des amis qui vont et viennent. Tuez ce putain de monde, tuez le, tuez ce putain de monde. Il est hostile, il est méchant, il n’est pas fait pour les singes évolués que nous sommes.

Vos grands projets n’aboutiront jamais, mais le meurtre sain, le meurtre du monde seulement et cette faille qui est en soi, elle n’est pas dans les livres de religion, elle n’est pas dans les projets ou la politique, elle est en soi cette putain de faille, elle est personnelle et je ne pense pas qu’elle puisse s’appliquer au monde entier, à tout le monde.

Cette putain de faille est en vous, cette putain de faille si elle est reliée aux autres c’est que tout va mal, car ce putain de monde ne la tolère pas cette putain de faille. Je n’ai pourtant rien fait, on m’utilise, mais je serai toujours le gardien de cette faille, je ne peux pas vraiment faire autrement, elle m’aspire et elle est l’insouciance.

L’insouciance m’attire comme un aimant.

Il n’y a absolument aucun sens du drame ou richesse intérieure dans ma famille si ce n’est chez moi-même. Ce sens-là est positif et pris sur le registre ou bien d’une affliction ou bien d’un amour de la vie. Or c’est précisément cela qui est rejeté dans ma famille, car envisagé telles une terreur et une menace. Il en résulte une mort intérieure, une haine du vivant et un amour du vide exacerbé. Une sorte de refuge face au sentiment du tragique, et une hypertrophie du moi ridicule chez celui qui pense avoir des attributs dans ce domaine. La confusion et la bêtise deviennent un recours à cette absence de sentiments désirée (cf La cantatrice chauve), mais également une haine de celui qui sait vivre, qui sait ressentir, et une volonté vengeresse de l’acculer ou de le violer, car seul détenteur de ce qui peut être désirable.

On peut bien entendu élargir cela à l’ensemble du panel sociétal.


EOQ

VERBIAGE D’UN POETE ASSASSINE

Les marges ne tolèrent pas de mouvements
Mais ceux qui puisent dans les tombereaux
D’insultes une grâce qui se brise

A vous comme un canard laqué en cuisine
A vous les amantes qui ne me résistent
Dans cet abus et ce millésime

Je ne prends pas en compte ce qui est pollué
Dans cet air navré et ses souffrances exquises
Je suis le pion sur le parvis des banquises

Je vous touche quelques fois avec cette aile noire
Ce squelette à plumes qui se déconfit le soir
Dans le ciel oublieux d’un crépuscule

Je suis l’armée de cortèges et le son des concerts
Et ne frappe hors de ma tanière qu’avec le cri
Des volières qui suintent dans les paradis

Je fais des rimes telle une manivelle active
Sur des esprits pluvieux qui gisent
Sur des parvis lumineux qui luisent

Je suis le chantre assassiné des épouses
Et sème le trouble dans les familles
Je suis l’exquise réponse à vos épines

Logées dans vos membres, dans mes guenilles
Qui vous sert d’appui dans la pluie
Et décore vos cœurs d’un esprit

BLESSURE

Il y a comme des traces de cyprès, et des manques
Des offenses me sont faites par des femmes peu clairvoyantes
Qui dernièrement ont décidé de me torturer

Je sais où fuir l’amour et n’écrirais
Plus jamais pour de mauvaises pies écervelées
Mais pour des trapèzes absous de toute confiance

Je ne crois plus en rien de vous ni en mes mots
Mais aux perroquets péruviens des eaux
Et rien à vos réflexions

Mais des embarcations où la douleur ne fuit jamais
Vers d’autres espaces que le beau sucre
La fonte des glaces

RUBAN DE MOEBIUS

Je suis ton ruban de Moebius si tu touches
Le bord et passe dans l’angle le plateau
Est calcaire dans la roche qui passe
Sur le bord à nouveau des nerfs

Seul le ruban dénote ma capacité à être
Seul le ruban de Moebius mon squelette
S’équilibre dans l’espace que je conquiers
L’acier cogne dans le vide contre un mur

Le ruban touche tes éclaircies et tes doigts
S’enlace au bord de tout relief qui se meurt
Dans la poésie de cet esprit malléable
Seul le ruban de Moebius me tolère

LECTURE

Il n’y a plus de bruit et de semblance
Tout est étranger à ce qui règne
Et bout dans la phalange
L’ailleurs s’énerve de cette plaisance

Nous sommes les vaincus de l’ajour
Et nous émerveillons d’un discours
Mort aussi d’être, de ne plus être
Que la transe du jour

Nous luisons sur la toiture d’asphalte
La tension s’annule dans le livre
Où l’opacité est réelle
La nature est sur les bords crénelés

De la ligne éternelle

La science a réussi a soutirer, je ne dirais pas des vérités, mais des processus praticables dans le grand magma du réel. Pour ce qui est du reste, les sciences humaines dira t-on, c’est une pure construction abracadabrantesque sur l’existence de la réalité première, ainsi que les religions. La réalité comme l’ont compris Nietzsche et avant lui Aristote, et certainement pas Platon et sa vérité supérieure abracadabrantesque, et comme le comprendra de plus en plus la science, est un vaste tissu de chaos. Tout le reste sont des propos hilarants. Il suffit juste d’en avoir conscience. En tant qu’humain nous nous devons d’échafauder une ou des vérités, mais c’est proprement n’importe quoi.

Être un millionaire de gauche a ceci de vraiment cool que l’on puisse déculpabiliser de ses privilèges contrairement au millionnaire de droite qui les assume.

La politique c’est : pareil ou pire.

Le mieux et l’espoir c’est : du temps gagné.

Souvent je me réveille à gauche et je m’endors à droite.

L’opinion est une vocation. L’intelligence, un flottement.

L’intelligence exclut toute forme de rigidité. Elle n’a pas besoin d’agir.

La rigidité de l’action est sans doute plus en phase avec le monde.

On peut concevoir une intelligence qui n’aurait pas besoin du monde.

Un monde sans corps serait un progrès indubitable.

On progresse quand on régresse vers soi.

Un bonheur collectif est un fantasme personnel.

Les stoïciens avaient compris que le bonheur public nécessitait le malheur.

On est parfois châtié de s’être trouvé.

Le bonheur comme châtiment cible l’inutilité du progrès.

On peut parier que des obstacles étranges surviendraient dans le meilleur des mondes.

L’amour est un privilège et la haine le luxe de l’exploité.

L’engagé a ce défaut par rapport au désangagé qu’il créé un grand nombre de situations défavorables qui nécessitent son engagement. On peut dire qu’il se nourrit de lui-même pour occuper son temps. Le désangagé se nourrit également de lui-même, mais il passe plus de temps à se digérer.

Il faut parler immédiatement pour briller et réfléchir longuement pour ennuyer.

Quelqu’un qui essaye de faire passer son ennui pour de l’éclat a quelque chose d’un faux diamant.

L’ennui a de grandes aspirations qui feraient peur au bonheur.

Moins l’ennuyé a peur, plus la catastrophe s’annonce.

Les sciences nous en apprennent toujours plus à mesure que l’on pense avoir touché un certain équilibre ou un certain bonheur prochains. Elles se multiplient et se diversifient comme un enfant qui se moquerait de toutes les astuces possibles qu’on emploierait envers lui pour lui faire manger sa soupe.

Plus le bonheur paraît simple, plus la science nous explique le contraire.

L’homme premier aurait sans doute été découragé de connaître tous les progrès de la science.

On a fini par appeler sciences humaines ce qui se moque franchement plus de nous que les sciences d’alors.

Quand un téléphone fixe sonne j’ai toujours l’impression que j’ai fait une bêtise.

Les anciennes sonneries de téléphone nous font pressentir comme le monde n’est pas plus angoissant qu’avant. C’est sans doute cela qui est rassurant.

Ce qui est surprenant, c’est que la justice est du côté de ceux qui ont davantage préservé le bonheur plutôt que de ceux qui commettent des crimes pour l’avoir perdu. C’est une loi plus animale qu’humaine. Mais quand un humain rejette le bonheur commun, il semblerait qu’il soit à la fois un criminel et un justicier, mi homme mi animal.

S’examiner est une chose honteuse, coupable et ridicule. Seule la création et la relation ne le sont pas. Mais des personnes qui se regardent dans leur relation et leur création comme Matzneff ont des relations et des créations honteuses et coupables aussi.

Le chaos a beaucoup plus de perspectives d’avenir que l’ordre.

Les possibilités du chaos sont beaucoup plus légères que celles de l’ordre.

Les personnes parfaites votent souvent au centre, ce qui peut facilement se comprendre.

Il faudrait une application Sénat sur son portable pour savoir si cette année on a le droit ou pas de faire la chose qu’on veut faire.

Ce qu’il y a tout de même de bien avec le Sénat, c’est qu’en ne servant à rien il prévient des accélérations et des décélérations qui pourraient être néfastes en donnant le droit ou pas une année sur deux de faire telle ou telle chose.

Le président de l’assemblée nationale ne peut qu’accumuler une sagesse taiseuse qui lui sera rarement profitable mais lui assurera un certain dégoût des avancées, tel un homme mélancolique sur une grève regardant incessamment des couchers de soleils sans jamais pouvoir agir. Je pense à vrai dire à ces deux personnes assises derrière la présidente dont personne ne sait rien, et qui sont là comme des victimes choisies au hasard pour assister au spectacle de la vanité humaine. Ou bien un échelon beckettien dans le désespoir amènerait des politiciens toujours plus déçus jusqu’à obtenir la place fatale de ces deux sièges, accumulant en soi toutes les intempéries sans pouvoir agir ni profiter de rien. Qu’on leur reconnaisse une certaine sagesse en lot de consolation, une sagesse qui s’effacera. Ils sont un peu comme des derniers de la classe au premier rang, ou plutôt des premiers de la classe au dernier rang et dont les bons résultats ne servent à rien.

J’ai l’avantage et le désavantage d’être célèbre par rapport à Pessoa.