Claire Ceira

les jours rallongent…

par claire le 20 janvier, 2017

……à nouveau. Depuis quelques jours, un rai spectral, pâle, surligne le bas de la fenêtre au réveil, sous les volets pleins. Il ne se sent pas mieux pour autant, sortant du chaos des nuits. Il a de plus en plus l’impression de n’être pas le même quand il dort. Un rêveur avide et bousculé hache ses nuits de situations inconnues, rampant de réveil en réveil et replongeant aussitôt, comme dans des milliers de vies non-vécues, qu’il tente de vivre, où il réfléchit sans cesse, sans continuité.
Le rai de lumière grise à la fenêtre (le « jour »), signe de ce qu’est sa vraie vie : une ligne qui ne dit rien.
Ce matin, après le café où il a ajouté un long trait d’eau du robinet tant il avait soif, il sort sur le pas de la porte. La ruelle est vide, il fait froid, il est content d’être ainsi en chemise, col et veste ouverts. A l’angle de la rue des Lois, à 20 mètres, le soleil rasant dessine sur le crépi du mur une surface si belle, avec ses aspérités, qu’on dirait un grain de peau, une peau qui a froid.
Il rentre dans la cuisine, il va chercher dans le tiroir de la table ses clefs de voiture. Voilà plus d’une semaine qu’elles sont là. Il se voit soudain comme la voisine qu’on a fini par venir chercher en ambulance après un appel aux pompiers. La minuscule baraque envahie de sacs en plastique puants, de vieux journaux, d’enveloppes vides, aussi mortes qu’elle bientôt. Ça s’appelle le « syndrome de Diogène », paraît-il. Il sent cette constipation de l’âme, garder ainsi la merde du cœur bien au chaud, accumulée, les vexations minuscules, les défauts trop vus, l’impression aigre d’être oublié. L’en-soi si reposant, comme une fenêtre cernée de blanc dans le noir de la chambre dit « reste là, ne bouge pas ».
Il lui vient une grande envie de purgation, sortir, grimper en haut du village, croiser quelqu’un, regarder la vallée, manger une herbe amère, se vider, léger.
Ou bien prendre la voiture, aller au supermarché, surmonté de la ligne des montagnes inchangée depuis l’invention de la photographie. Le camion des poulets rôtis remplit le parking entier d’une odeur sublime, comme l’odeur de la faim. Son petit voisin est là, sanglé dans sa poussette, et sa mère remplit le coffre, elle rit de le voir. Il l’aide à charger les packs d’eau pour les biberons.

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